../

Sciences et critique

└─ 2013-02-13 • Reading time: ~5 minutes

Une récente réflexion personnelle m’a amené à considérer l’influence de l’étude des sciences (mathématiques, physiques, etc.) sur la capacité à être critique, à faire preuve de discernement dans la vie des tous les jours. Je prendrai ici appui sur l’exemple des mathématiques afin d’étayer mon propos, mais le parallèle avec d’autres sciences est possible.

Je vais donc essayer de présenter quelques traits de caractère, ou habitudes et montrer en quoi ils peuvent être éveillés et entretenus par les sciences, et encourager une vision critique et une prise de recul par rapport aux informations glanées quotidiennement.

Le doute

Il est arrivé dans l’histoire des mathématiques que les mathématiciens, parmi les plus talentueux, en se fiant à leur instinct, à leur intuition, énoncent des vérités erronées. C’est en particulier Bourbaki qui écrivit [1] (peut-être pas en premier) que pour mener un travail rigoureux en mathématiques, il ne fallait pas écouter son intuition, car celle-ci se trouve souvent impuissante face à l’abstraction et l’inconnu, en revanche, il est en général sûr de se fier à des axiomes et des raisonnements logiques rigoureux afin de cheminer dans l’abstrait. Vous vous demandez peut-être le lien entre ce que vous venez de lire et le « doute ». Je pense que pour éviter les pièges, éviter de se tromper en croyant avoir affaire à l’évidence, il faut tout remettre en doute, y compris sa propre intuition. C’est ce que les sciences m’ont appris, et c’est ce que j’ai pris le réflexe de mettre en pratique quotidiennement. Si l’on commence à remettre en doute même ses intuitions, on est capable de tout remettre en doute, y compris les autres. Attention, remettre en doute ne signifie pas rejeter l’autre et son propos, mais juste procéder à une mise à l’épreuve de l’information que l’on reçoit. J’entends trop régulièrement des proches m’énoncer des faits, sortis de nulle part, et qui en cherchant un peu, se révèlent être faux, mais quand on a lu quelque chose, ou si on l’a vu à la télévision, c’est que ça doit être vrai… Il faut chercher l’argumentation, et se ramener à des bases solides, à un raisonnement, à une logique, presqu’à une démonstration, et c’est ce qui m’amène au point suivant, la rigueur.

La rigueur

La rigueur des sciences, la rigueur mathématique, est un allié précieux lorsqu’il s’agit de traquer et de démasquer le faux, déguisé en évidence. La pratique régulière des sciences, en particulier des mathématiques, pousse à cette rigueur, et c’est ce qui est reposant avec elles, c’est qu’une fois un théorème prouvé rigoureusement, il est vrai. Modulo l’erreur inhérente à l’être humain bien sûr. Mais des faits [2] énoncés par des philosophes Grecs il y a plus de deux milles ans n’ont jamais été autant d’actualité, ni autant enseignés dans nos écoles, c’est du solide ! La rigueur, allié au raisonnement, mène à la preuve, à la démonstration, et idéalement, nous devrions avoir ce réflexe d’une analyse rigoureuse des informations qui nous parviennent, et pour cela, les sciences aident.

De même, lorsqu’on a pris l’habitude de raisonner, de chercher la preuve, de chercher l’argument pouvant servir à la démonstration, on est plus enclin à détecter les failles, les erreurs dans les démonstrations ou les argumentations des autres. Parfois, on peut avoir cette intuition que quelque chose cloche (il arrive que les intuitions soient bonnes, d’autres fois non, mais on peut leur laisser leur chance, et les mettre à l’épreuve). Je pense que c’est ce qu’on peut appeler du discernement. Capacité d’abstraction

Dernier point important, la capacité d’abstraction. Les mathématiques enseignent l’art et la manière d’abstraire les choses. Lorsqu’un problème se présente, le mathématicien exercé aura plus de facilité à le dépouiller de toute information inutile, le changer de contexte, le relier à d’autres faits, le regarder sous un autre angle. Cette capacité à abstraire les choses de leur contexte premier est essentielle, pour détecter des mécanismes cachés, des liens masqués, des structures sous-jacentes, quel que soit le problème considéré. Allié à une ouverture d’esprit et à une vision globale, c’est à dire, parvenir à ne pas rester focaliser sur l’information présente, mais arriver à voir toutes les autres en même temps, prendre le recul nécessaire afin de traiter le problème dans son ensemble, dans sa globalité et non localement, avec une vision partielle du contexte, cette qualité permet également de ne pas considérer qu’une seule version du problème, mais plusieurs. Il est parfois utile de s’ouvrir à toutes les possibilités. Et encore une fois, les sciences sont un excellent terrain de jeu pour s’entrainer !

Contexte

Dans un monde où il serait plus nécessaire que jamais de remettre en doute la véracité de l’information à laquelle on peut accéder, dans une société de l’ouverture, de l’internet et du partage des données, il est vital de développer des outils nous permettant de faire le tri dans les quantités astronomiques d’informations que nous sommes amenés à traiter et assimiler quotidiennement. Le doute, la rigueur, l’abstraction, l’ouverture d’esprit, la curiosité, sont les germes de l’indépendance intellectuelle, qu’il est nécessaire de cultiver continûment. Les sciences, qu’elles soient humaines ou autres (mathématiques, physique, biologie, philosophies, sociologie, géopolitique, etc.) sont plus que jamais nécessaires pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Références :

  • [1] Nicolas Bourbaki – Éléments d’histoire des mathématiques
  • [2] Euclide – Les éléments